Genova, 29 Ottobre 2016

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Gruppi Balint e Psicodramma Balint nella formazione dei curanti

Relazione del dott. Jean-Pierre Bachmann

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Je remercie beaucoup Bianca Gallo et votre association Acanto de m’avoir invité à vous parler des groupes Balint et du psychodrame Balint. Ce deux méthodes reconnues de formation à la relation soignant-soigné ont malgré leurs différences les mêmes objectifs  : de donner aux professionnels de la santé l’occasion d’explorer les aspects émotionnels de leur travail dans un environnement sûr, d’améliorer leur compréhension de la communication de leurs patients, de leur apporter soutien et supervision, de les encourager à une réflexion sur leur travail.[1] Le travail du groupe Balint vise avant à tout sensibiliser le soignant aux manifestations de transfert et de contre-transfert dans l’après-coup de la consultation. Balint écrivait « Notre but est d’aider les médecins à augmenter leur sensibilité à ce qui se passe, consciemment ou inconsciemment, dans l’esprit du patient lorsque médecin et patient sont ensemble ».

Et puisque j’interviens dans le cadre de votre association centrée sur l’étude des dynamiques de groupe j’essaierai de mettre en évidence certains des aspects du travail Balint en lien avec la compréhension de ces phénomènes dans nos groupes.

 

Michaël Balint est né en Hongrie, à Budapest, en 1896. Lui-même fils de médecin, il a d’abord été un médecin somaticien, un chercheur, un expérimentateur en biologie et en bactériologie, avant de devenir psychanalyste, un psychanalyste de renom, dont l’œuvre n’est peut-être de nos jours pas assez connue et étudiée. Balint a été l’analysand de Sandor Ferenczi et son continuateur (plus que son élève (André Haynal). L’œuvre de Balint a marqué un moment important et un renouveau de toute réflexion sur la pratique psychanalytique et la théorie de la pratique en promouvant comme champ d’investigation principal « la contribution de l’analyste à la création et au maintien de la situation analytique ». Les apports de Balint à l’étude de la relation médecin-patient répondent à la même préoccupation. Michael Balint gardera de ses premières activités médicales un souci de rigueur et un esprit de recherche qu’il appliquera dans son travail avec les groupes de médecins, mais aussi dans ses recherches sur la psychothérapie brève dont il a été l’un des pionniers.

Balint a dû émigrer en GB au moment de la guerre et lorsqu’il a introduit dans les années 1950 ce travail en groupe auprès des médecins généralistes il a apporté quelque chose de résolument nouveau, voire même de révolutionnaire aux yeux de certains. Il a en effet introduit dans le domaine de la médecine une pleine reconnaissance de la subjectivité du médecin et il a souhaité que cette méthode d’accès à cette subjectivité du soignant soit une voie d’ouverture à la subjectivité du patient. S’il s’adressait d’abord et avant tout les médecins le travail Balint s’est diffusé progressivement à tous les soignants mais aussi, et non sans quelques problèmes, à d’autres professions d’aide.

J’essaierai de vous montrer que la démarche de Balint, qui est une application de la psychanalyse reste, plus de 70 ans après les premiers groupes, toujours d’actualité dans notre époque marquée par la médicalisation de l’existence. Nombreux sont ceux parmi nous qui constatent combien par sa maturation scientifique, le discours médical a exilé de son champ la subjectivité et l’intersubjectivité des discours de la souffrance (voir l’essai de Roland Gori et Marie-José del Volgo). C’est peut-être le prix à payer pour que progressent de manière efficace les théories et les techniques médicales. La « maladie du malade » celle du sujet qui éprouve, souffre, est une maladie qui se distingue radicalement de la construction médicale de la maladie.

 

La perte de la subjectivité n’est pas seulement celle du malade. Elle est aussi vécue par toutes les catégories de soignant. Certains s’accommodent de cette situation, peuvent même y trouver une issue à leur malaise ou, c’est sans doute plus rare, une façon d’éviter les enjeux d’une vraie rencontre avec leurs patients. D’autres souffrent de cette situation, sont désireux de partager leurs expériences, d’éviter le burn-out si fréquent dans les professions de la santé. Ils rejoignent des groupes, groupes d’intervision, d’analyse de pratique, se forment à des techniques nouvelles. Les participants aux groupes Balint viennent avec leur difficulté à comprendre leurs propres réactions de soignants, à comprendre leurs patients. Ils viennent avec leur crainte de ne pouvoir maîtriser leurs sentiments et leurs émotions.

Un groupe, idéalement composé d’une dizaine de participants se réunit de manière régulière sous la direction d’un ou de deux leaders. Ces leaders sont des psychanalystes, des psychiatres ou des psychologues ayant une formation psychodynamique, mais aussi de plus en plus souvent des médecins non psychiatres formés à cette méthode et ayant eu une expérience approfondie de la méthode grâce à la participation à un groupe.

Une séance dure habituellement une heure et demie. Un des participants rapporte le plus spontanément possible le cas d’un patient qui lui pose problème. Participants et leaders aident ensuite le rapporteur du cas par leurs associations, leurs questions et plus rarement par des interprétations, à élucider ses difficultés en se centrant sur sa relation à ce patient là.

 

La méthode du groupe Balint s’inscrit dans la continuité de l’intérêt des psychanalystes pour la formation psychologique des médecins. En 1920, Sandor Ferenczi écrivait, que « la personnalité du médecin exerce souvent plus d’effet sur le malade que le traitement prescrit ». Cette formulation préfigure un des aspects de la démarche de Balint qui s’intéressera au médecin, ce médicament le plus souvent utilisé en médecine générale mais dont on ignorait tout alors de la pharmacologie.

En 1926 déjà, il avait alors 30 ans, Balint écrivait un article: « De la psychothérapie à l’intention du médecin généraliste ». « Sous l’influence de la psychanalyse, écrit-il, la psychologie doit trouver une place dans la formation des médecins et dans la pratique clinique, une place très importante, peut-être une place énorme ». Il mentionne aussi que « les maladies organiques et fonctionnelles ne sont pas séparées les unes des autres par la nature mais par nos catégories scientifiques, et si un patient ne peut être aidé par des traitements organiques, considérons qu’à travers la psyché nous pouvons (….) peut-être l’aider ». Déjà dans les années 1930, alors que l’image du médecin était en crise en Hongrie, Balint animait un séminaire consacré à l’étude des possibilités psychothérapeutiques dans la pratique quotidienne des généralistes. Il commençait par une série de cours dont il dira, longtemps plus tard (en 1970) qu’ils étaient parfaitement inutiles, mettant ainsi en question le rapport maître-élève.

 

C’est à la Tavistock Clinic de Londres, haut-lieu de soins et de recherches en psychiatrie et psychothérapie, où travaillent en même temps que lui Bion, Bowlby, Esther Bick, Eliott Jacques, et tant d’autres,  et où Balint a été consultant que débute son expérience de recherche avec un groupe de médecins généralistes. Il publiera le fruit de cette expérience en 1957 dans un livre qui aura un grand retentissement. «Le médecin, son malade et la maladie ». Dans cette institution qui a vu se développer les thérapies de groupe dans l’après-guerre, Balint va utiliser avec des médecins la méthode de formation que sa femme Enid, et lui proposaient à des assistants sociaux chargés des consultations avec des couples et des familles (« case-work »). Ils demandaient à ces groupes de travailleurs sociaux de rendre compte de la manière la plus spontanée possible de la relation qu’ils ont avec leur client. Ainsi cette situation de supervision va se caractériser par un recours à la libre association, sur le modèle de ce qui est en vigueur dans la situation analytique et favoriser ainsi les manifestations de l’inconscient.

 

Ce travail de groupe avait pour objectif de sensibiliser les assistants sociaux au processus inconscients à l’œuvre dans leurs relations professionnelles, les leurs mais aussi ceux de leurs clients. Il avait aussi pour but de les former à l’écoute et à des formes adaptées de psychothérapie. Ces mêmes objectifs seront à l’œuvre dans les premiers groupes de médecins. Au cours de l’évaluation de cette activité de formation les responsables de la Tavistock se rendirent compte du rôle très important joué par les médecins généralistes auprès des familles en crise, médecins qui face à de nombreux patients semblaient prisonniers de leurs schémas médicaux. D’où l’intérêt de s’adresser à des médecins, de découvrir avec eux ce dont ils ont besoin, et d’élaborer avec eux des réponses à leurs besoins en utilisant le modèle de supervision utilisé avec les travailleurs sociaux.

 

Mais Balint s’est bien gardé de vouloir transposer à la médecine les enseignements de la démarche psychanalytique et d’y appliquer les fruits de ses propres recherches théoriques. Il va considérer son travail de formateur comme un travail de recherche, de réciprocité, d’échanges. Il se décrit comme leader d’une équipe de recherche et non comme un éducateur. En effet pour Balint la psychanalyse et la psychiatrie sont limitées dans la compréhension des facteurs dynamiques qui agissent dans les relations médecin-patient. Cette limitation est liée à la complexité du cadre dans lequel se déroule la relation, mais aussi à la richesse et à la variabilité des interactions.

 

Si Balint (1964) est convaincu que la technique psychanalytique est la plus sure et la mieux validée des techniques psychothérapeutiques, elle a été développée dans et pour une situation créée artificiellement par l’analyste. Reconnaissant que les analystes « ne savent pas grand-chose sur le quand et le comment de l’examen du corps du malade, … ni sur l’art de maintenir une relation thérapeutique continue avec tous les membres d’une même famille. » Balint est convaincu que les groupes qu’il va animer se doivent être des groupes de recherche.

 

Dans son activité d’analyste Balint a toujours eu le souci de dégager chez le patient ce qui le marque d’une individualité unique. Toute sa vie il s’intéressera au fonctionnement de l’analyste, à son implication émotionnelle, mais aussi aux sortes et aux quantités de satisfactions dont ont besoin tant le patient que l’analyste. C’est cette même démarche qui le guide dans l’observation et dans l’étude de la relation médecin-patient.

Cette reconnaissance des limites de son savoir a des conséquences importantes quant au rôle que va avoir le leader dans le groupe : il ne devrait pas donner des conseils ni se perdre dans des généralités sur la psychopathologie ou la psychodynamique Il doit se concentrer et concentrer l’attention de tout le groupe sur ce qui fait la spécificité, le caractère singulier, de la relation de tel soignant avec tel patient.

 

La présentation du cas dans un groupe Balint est habituellement le récit d’une situation ordinaire de la pratique mais qui pose problème au présentateur. C’est une situation sur laquelle il bute ou qui suscite en lui des réactions émotionnelles diverses.[2] La manière dont le présentateur parle de son patient, « avec tous les trous et les replis de son récit, les omissions, les pensées secondaires, les additions tardives, les corrections », (c’est cela la libre association), mais aussi les circonstances dans lesquelles toute cette situation est amenée au groupe, tout cela raconte une histoire dont la compréhension est le vrai domaine de l’analyste. Ce récit, cette histoire est « semblable au contenu manifeste d’un rêve ». Elle est celle de l’implication affective du médecin, de son contre-transfert. Ce récit va susciter les associations de tous les membres de groupes, et ainsi élargir le champ de représentations auxquelles le présentateur va avoir accès.

 

Centré sur le cas et le rapporteur du cas, ensemble qui devient un objet composite investi par tout le groupe est aussi un objet commun à tous. Il devient le lieu de projections multiples, qui à la fois réunit et sépare les membres du groupe. Les interventions des membres du groupe sont à la fois l’expression de leurs positions professionnelles et de leurs sensibilités personnelles concernant le cas présenté mais elles vont très souvent aussi être le reflet des conflits internes apportés par le patient et auquel le présentateur est confronté. Elles sont aussi influencées par des éléments propre à la situation groupale et sa dynamique-

 

Comme cela a été mentionné dans la définition : le travail du groupe Balint vise à sensibiliser le médecin aux manifestations de transfert et de contre-transfert qui sont en jeu dans la relation. Dans son ouvrage Le médecin, son malade et la maladie Balint montre, dans la description d’un cas clinique d’une relation complexe entre une patiente et son généraliste, en quoi le transfert est une répétition de prototypes infantiles, une copie de fantasmes anciens revécus à l’égard du médecin. C’est la définition même de Freud. Mais dans le champ de médecine la conception que Balint a du transfert et du contre-transfert du médecin est beaucoup plus large. Balint écrit: « nous utilisons les mots de transfert et de contre-transfert pour désigner l’ensemble des sentiments et émotions, conscients ou inconscients, qui sont mis en jeu et agissent dans les échanges entre le médecin et son patient.» Le contre-transfert du médecin, c’est « la manière dont il fait usage de sa personnalité, de ses convictions scientifiques, de ses patterns de réactions automatiques, etc. ». Dans la pratique médicale courante, le médecin fait partie de la réalité et son contre-transfert en est l’un des éléments les plus importants.

 

Parmi les différents éléments du contre-transfert du médecin Balint consacre une large place à l’étude de ses émotions. Les émotions et les sentiments du médecin ne sont pas seulement des réponses très personnelles et individuelles mais si elles sont spécifiques au traitement de tel patient elles peuvent être aussi comprises comme des symptômes importants de sa maladie. Ainsi le médecin va pouvoir les utiliser comme un précieux outil de compréhension tant de la relation que de la maladie.

Mais pourquoi cet accent mis sur le contre-transfert du médecin ? Si le médecin peut changer son contre-transfert, pour le rendre plus efficace thérapeutiquement, la situation toute entière peut changer assez rapidement.

 

Le but du leader d’un groupe est d’aider à une prise de conscience des aspects contre-transférentiels qui viennent interférer de manière parfois très répétitive et douloureuse dans certaines des relations professionnelles. Mais ce travail ne se fait pas nécessairement par des interprétations. Il ne se fait jamais par des interventions qui visent à dévoiler les motivations cachées du comportement du médecin. Le but du travail en groupe est avant tout de rendre le médecin capable de prendre lui-même conscience de ces aspects, avec l’aide aussi de tous les participants. Ceci n’est possible que dans la mesure où le leader va être capable de créer une atmosphère telle que chaque membre du groupe puisse supporter la prise de conscience de ses propres limites. Et que chacun ait le « courage de sa propre bêtise ». Je vous parlerai plus loin de manière détaillée de la fonction du leader.

 

Dans le Balint on interroge exclusivement l’aspect du travail professionnel, ce qui à travers les rapports de cas et la participation à la discussion du groupe est peu à peu connu de tous les membres du séminaire. C’est la sphère du contre-transfert public du médecin, ce que certains ont appelé son Soi professionnel.

Les contributions de Balint à l’étude de la relation médecin-patient ne visent pas ce seul aspect du transfert et du contre-transfert. Balint a longuement décrit ce qu’il appelle la fonction apostolique du médecin. « Tout se passe comme si tout médecin possédait la connaissance révélée de ce que les patients sont en droit d’attendre ou d’espérer, de ce qu’ils doivent pouvoir supporter ». C’est comme si le médecin avait le devoir sacré de convertir à sa croyance tous les ignorants et tous les incroyants. » Cette fonction apostolique se manifeste par des conduites le plus souvent profondément ancrées dans la personnalité du médecin et qui sont souvent très manifestes pour ses collègues et pour le leader mais dont il a beaucoup de mal à prendre conscience. L’utilisation de cette terminologie ne manque pas d’avoir une connotation négative et il serait erroné de penser que toutes les conduites qui traduisent cette fonction apostolique ont des conséquences négatives. Certaines qui restent dans le domaine de la santé participent même à la promotion de la santé ; éviter des risques, permettre au patient d’accepter des soins.

 

Balint se refusait de décrire en termes psychologiques la relation le patient et son médecin généraliste. Il préfèrera désigner cette relation comme une compagnie d’investissement mutuel. Cest un élément spécifique à la relation durable entre l’omnipraticien et son patient. Et Balint précise: « par compagnie d’investissement mutuel nous entendons que l’omnipraticien acquiert progressivement un précieux capital investi dans son patient et réciproquement que le patient acquiert un précieux capital qu’il dépose chez son praticien »4. « II ne s’agit pas d’amour ou de respect mutuel, ou d’identification mutuelle ou d’amitié, bien que tous ces éléments soient présents dans la relation. » Et c’est « faute d’un terme meilleur » qu’il parle de compagnie d’investissement mutuel. Balint ne parle jamais d’alliance thérapeutique, cette notion d’alliance sera surtout développée à partir des années 1950. Mais me semble implicite dans la description que M. Balint fait de la relation médecin-patient, comme elle est d’ailleurs aussi chez Freud qui évoque « le pacte analytique.

Pour Balint en plus de cette sensibilisation au transfert et au contretransfert la participation au séminaire avait pour but de permettre au médecin de découvrir une approche psychothérapeutique adaptée à la situation médicale. Cette approche psychothérapeutique est, de manière idéale, l’aboutissement de sa capacité nouvellement acquise de reconnaître les liens qui existent entre les différents symptômes présentés par le patient. Elle est aussi le résultat de la mise en évidence de conflits aussi bien chez le patient que dans la sphère de leur relation où ils vont avoir tendance à se rejouer. Balint a très souvent dit qu’il se gardait bien de promouvoir une forme édulcorée de psychanalyse ou de favoriser l’analyse sauvage c’est-à-dire ce qui est une violation et une exploitation irresponsable de l’inconscient du patient. Il n’en reste pas moins que peu après les débuts des séminaires de formation des médecins Balint préconisa l’introduction des entretiens prolongés.

 

La formation à des techniques psychothérapeutiques a posé des problèmes qui n’ont jamais été résolus et c’est à ce sujet que les postions des animateurs de groupe ont le plus changé, Dans le but qu’ils assignent à leur formation les successeurs de Balint à la Tavistock vont abandonner cette référence à une formation à une psychothérapie adaptée à la médecine. « Notre but disent-ils est de favoriser l’acquisition par le médecin d’une plus grande compétence dans sa participation professionnelle à toutes les relations personnelles qui interviennent dans sa pratique. Cette compétence comprend deux éléments : d’une part une plus grande sensibilité aux phénomènes relationnels et d’autre part une meilleure compréhension de leur signification. »

Bien que travaillant à la Tavistock Clinic et entouré des pionniers de la psychothérapie de groupe et sans doute très influencés par eux Michaël Balint et sa femme Enid n’étaient pas intéressés par les théories concernant le groupe. Mais Balint reconnaît avoir beaucoup appris de Bion. Ils vont surtout décrire la fonction du leader de groupe et les problèmes cliniques qui se posent dans l’animation des groupes. En les décrivant comme des groupes de recherche et en confirmant les participants dans une fonction de chercheur Balint refuse une position maître-élève qui favoriserait que se centralisent sur lui les mouvements transférentiels de dépendance.

Le leader n’interprète pas les manifestations transférentielles dont il est l’objet. Il énonce les règles de travail du groupe. Il observe le fonctionnement du groupe dans une position bienveillante et d’attention flottante. Le leader veille à l’expression des positions individuelles de chaque membre du groupe, favorise les transferts latéraux. Il a pour tâche de maintenir la cohésion du groupe, en créant une atmosphère propice à la formation, c’est-à-dire une atmosphère telle que chaque membre du groupe (et le leader lui-même) puisse supporter le choc de la prise de conscience de ses conflits. Il doit être à même de gérer les crises que traverse inévitablement tout groupe Il joue un rôle identificatoire important pour les membres du groupe mais il enseigne surtout par sa façon d’écouter, s’exposant dans son contre-transfert, et se montre prêt à apprendre quelque chose du groupe. En se centrant sur le soi professionnel des participants le leader veille à ce que le groupe ne devienne un groupe thérapeutique. Mais pour beaucoup la question reste posée : le groupe Balint est-il une psychothérapie professionnelle ?

 

Il ne faut donc pas chercher chez les Balint des théories du fonctionnement du groupe mais reconnaître qu’il était sans doute très conscient des mouvements dynamiques qui étaient à l’œuvre sans, me semble-t-il,  qu’ils jugent utile de les interpréter.

Ce sont les successeurs de Balint et en particulier Gosling et Turquet, de la Tavistock, qui vont décrire très minutieusement les phénomènes de groupe selon le modèle bionien (tâche primaire, hypothèses de base). Ils décrivent les tâche primaires du séminaire en tenant compte de deux considérations liés aux besoins des participants (ce sont des médecins généralistes) : le besoin de maintenir une distance psychologique appropriée entre lui et ses malades, et leur besoin d’accepter la régression des malades sans céder à la tentation de satisfaire ses propres besoins de toute puissance. Leur étude sur des groupes qui dure plusieurs années, prolonge à la fois maints aspects du travail Balintien mais s’en distingue par la description qu’ils font du rôle du leader, avant tout comme expert de la vie des groupes et particulièrement des phénomènes liés aux hypothèses de base qu’il doit savoir reconnaître et utiliser.

 

Pour Gosling et Turquet le leader, en plus des fonctions habituelles à tout groupe de préserver les limites du séminaire, et de fonctionner comme modèle, en particulier par sa fonction d’écoute, est aussi un enseignant. Il peut avoir ainsi une attitude franchement didactique, en étant attentif au risque que cela favorise l’hypothèse de base de dépendance de la part des participants. En fonction des techniques que Gosling et Turquet utilisent dans l’animation des groupes ils vont pouvoir décrire des phases de la vie d’un groupe. A la tentative de trouver dans le leader un personnage omniscient et omnipotent, tentative qui échoue succède une période de désillusion, avec ce qu’elle comporte de dépression. Ce ne serait qu’au sortir de cette phase que certains manifestent des changements plus ou moins importants.

 

Plusieurs auteurs ont décrit, toujours en se basant sur le modèle de Bion (Denis Mellier par exemple) la « fonction contenante », du groupe Balint, non pas une qualité ou un fonctionnement contenant, comme devrait l’être tout groupe de formation,  mais une « fonction à contenir », c’est-à-dire un travail à réaliser pour qu’il puisse y avoir la création d’un lien contenant/contenu. (René Kaës préfère utiliser l’expression d’une « fonction conteneur »). « Ceci correspond au processus de transformation décrit initialement par Bion en termes de fonction alpha et d’éléments bêta. La fonction contenante correspond à la tenue d’une fonction alpha pour qu’il puisse y avoir l’établissement d’un « lien contenant-contenu » (Mellier).

 

Si la référence à la pensée de Bion sur le fonctionnement du groupe est très utile et peut-être tout spécialement dans un travail Balint en grand groupe (modèle de Michel Sapir) mon attention et celle de mes collègues co-animateurs de groupe dans le cadre de notre association se porte plutôt sur la compréhension des différentes modalités des transferts dans la situation groupale.

Si les références à une théorie et une clinique psychanalytiques ont tendance à disparaître de nos jours dans le mouvement Balint international, un élément du important fonctionnement groupal focalise régulièrement l’attention des leaders, c’est celui du « parallel process » que nous pourrions traduire par processus en miroir.

 

Décrit d’abord par les psychanalystes dans le cadre de la supervision individuelle ou en groupe le « parallel process » décrit, plus qu’il n’explique, le phénomène assez habituel suivant : le présentateur d’un cas vient au groupe avec son patient, avec très souvent des mouvements d’identification inconscients avec le patient. La problématique de la relation soignant-soigné et ses différentes modalités conflictuelles auront tendance à se répéter dans la situation groupale, sous forme d’une remise en acte. « L’impact du malade sur le médecin va se transmettre à la vie du séminaire et se retrouver au niveau des relations qui s’y développent ».

(Gosling et Turquet ».

 

Lo psicodramma Balint.

 

Si le travail en groupe Balint avait tout à ses débuts l’ambition de permettre à des participants de développer des approches psychothérapeutiques spécifiques à leur formation de médecin ce premier objectif a été ensuite abandonné, mais a modifié la pratique des participants en favorisant les entretiens prolongés, peut-être aux prix de l’évitement du corps. Michael et Enid Balint étaient persuadés (selon Michel Sapir) qu’une dénaturation de la méthode Balint résiderait dans l’évitement du corps au profit des aspects purement psychologiques de la relation.

C’est ici qu’intervient le psychodrame Balint, fruit de l’association de la méthode de groupe Balint classique et du psychodrame psychanalytique. Le psychodrame psychanalytique individuel ou en groupe est une spécificité française, les premiers psychodramatistes français ayant été séduit par Moreno et  par la méthode du psychodrame qu’ils découvraient mais ils vont le développer dès les années 1950 dans le cadre d’une clinique et d’une théorie purement psychanalytiques.

 

Même si cela n’a été pleinement compris qu’après coup, le psychodrame-Balint se situe dans le souci de la réintroduction du corps, dans la prise en compte du vécu corporel du soignant dans les processus de formation et dans sa  relation au corps du soigné. La mobilisation du corps dans le psychodrame favorise ainsi un processus qui est toutefois déjà présent, mais silencieusement présent, dans tout groupe Balint.

 

Anne Caïn qui a introduit le psychodrame Balint dans les années 1970 était une psychanalyste  et psychodramatiste marseillaise. Elle avait coutume de dire que le corps ne ment pas. Car elle lui accordait un sens inscrit dans son passé. Le corps « est porteur d’une histoire propre au sujet qui en a conservé la trace. »[3] Le travail en psychodrame-Balint tente ainsi d’aller aux sources de cette histoire chaque fois singulière, mais en restant dans le champ strict de la sphère professionnelle et de la rencontre avec le patient et avec son corps. Ceux qui ont travaillé avec Anne Caïn savent tout le soin qu’elle portait à retrouver, avec le présentateur du cas,  bien des aspects historiques de la relation, et même ceux qui précédaient la première rencontre, un premier contact téléphonique par exemple.

 

En explorant aussi la relation du soignant à son cadre de travail, à son environnement, aux représentations qu’il peut de faire de son futur patient, elle avait comme intention de faciliter le processus de remémoration, ce qui lui permettait aussi de dégager les prémisses du contre-transfert. Bien souvent le contre-transfert précède le transfert.

 

Si une attention particulière est portée par les animateurs de groupe au discours sur le corps, au langage du corps du présentateur de cas, mais aussi aux à celui des acteurs de la scène, de tous les membres du groupe et à son propre corps  ces aspects ne peuvent évidemment être dissociés d’autres éléments qui comme dans tout groupe Balint organisent les différentes formes du discours du groupe : les phénomènes de transfert, les fantasmes qui organisent le groupe, la filiation des cas, etc…

 

Prenons l’exemple d’une séance de groupe.

La Dresse A connaît Madeleine depuis 18 ans. Madeleine a été sa voisine pendant de nombreuses années. Elle a partagé avec la Dresse A et avec des membres de sa famille des intérêts communs au sein d’une association.  Puis Madeleine a quitté cet endroit pour poursuivre une brillante carrière dans une autre ville. Madeleine avait été la patiente de la Dresse A et sans doute considère-t-elle son ancien médecin comme une amie. Elles se tutoient et spontanément Madeleine a tendance à vouloir embrasser son médecin quand elle vient la revoir. C’est du moins ce que nous découvrons quand, dans la première scène qui lui sera proposée de jouer,  la Dresse A retrouve sa patiente. Mais dans le jeu, comme dans la réalité, la Dresse A évite, esquive ce geste.

Prendiamo l’esempio di una seduta di gruppo

Dans le premier temps de la séance, la Dresse A nous parlera de sa patiente, décrira la situation qui lui pose problème, puis répondra à quelques questions des participants, comme dans le premier temps de tout groupe Balint.

Madeleine revient dans leur ville pour se soigner d’un épuisement professionnel. Elle choisit pendant le temps de son incapacité de travail de se faire à nouveau suivre par la Dresse A. Au cours de différentes scènes nous découvrirons mieux certains éléments de cette relation, sans doute rendue complexe, comme c’est si souvent le cas, par le chevauchement entre des aspects professionnels et plus personnels. La Dresse A qui m’apparaît comme un médecin très rigoureux, très concernée, active et organisée, va nous montrer tout le soin qu’elle a à aider Madeleine à prendre la pleine mesure de son épuisement, à reconnaître une souffrance qui ne peut se résumer à une seule explication rationnelle : le diagnostic de syndrome de burn-out. Comment aider Madeleine, en s’occupant aussi de son corps, à ne pas se réfugier dans la dénégation, dans la fuite ? Comment la freiner dans sa recherche de solutions thérapeutiques miracles ? Telles sont les demandes que la Dresse A amène à ce groupe.

 

La Dresse A se montre très à l’aise avec la méthode du psychodrame-Balint, dans l’évocation et la mise en place du décor, dans l’inversion des rôles, dans les soliloques.  Elle fréquente ce groupe depuis longtemps.

 

Dans le psychodrame Balint une attention particulière est donnée à la description du cadre dans lequel va se dérouler la scène qui va être rejouée : ici, le cabinet du médecin. Pour rejouer la première rencontre  des chaises sont disposées comme elles se trouvaient dans la salle d’attente et dans la salle de consultation du médecin.

Certains éléments ou caractéristiques du cadre et de son décor sont susceptibles de devenir, au cours du jeu, des révélateurs : de la relation du soignant avec le cadre dans lequel il travaille, de la distance aménagée avec son patient ou avec d’autres, de l’intimité préservée au non de la relation thérapeutique.

 

Un aspect important de la méthode du psychodrame Balint est l’inversion de rôle. Les inversions de rôle sont extrêmement fréquentes au cours du jeu afin de retrouver, au plus près de ce qui s’est passé, non seulement les paroles du patient mais aussi son langage corporel. Après avoir introduit la scène et joué son propre rôle le présentateur du cas est invité à prendre le rôle du patient (ou d’un autre protagoniste) avant que le membre du groupe choisi pour jouer ce rôle ne répète à son tour cette séquence verbalement et avec son corps.  Si elle est parfois vécue comme difficile et contraignante, tant pour le protagoniste que pour les acteurs, l’inversion de rôle devient un élément précieux dans le travail de groupe. Elle permet parfois au présentateur d’être confronté à des décalages qui peuvent être révélateurs, comme son incapacité à se mettre dans le rôle de tel patient. Elle peut aussi favoriser l’émergence de lapsus, de gestes ou même de bruits involontaires.

Par le  soliloque, procédé souvent utilisé, souvent au début ou à la fin d’une scène, le soignant est invité à faire part des pensées qui l’animent, ou celles qu’il avait présentes à l’esprit avant de rencontrer son interlocuteur, habituellement le patient.

 

Mais revenons à la Dresse A et à Madeleine. Dans ma place d’observateur de cette séance j’assiste à un ballet très bien réglé, la Dresse A a monté le décor dans lequel elle se montre si à l’aise. Elle prend elle-même régulièrement l’initiative des changements de rôle, des soliloques alors qu’habituellement ils répondent à une invitation de l’animateur.

Ce spectacle suscite en moi une sensation de grande fatigue  et aussi un moment de profonde tristesse.  Au cours d’un changement de rôle la Dresse A. prend l’initiative de reprendre le rôle de Madeleine, alors si défendue, si épuisée, assise face à elle alors que nous mettons en scène l’examen physique de la patiente.  La Dresse A va tendre très délicatement le bras vers Madeleine, toucher son bras pour accompagner son mouvement quand elle se lève.

Pendant les scènes plusieurs participants vont venir doubler les protagonistes, tantôt le médecin, tantôt la patiente, exprimant pensées et affects divers, et, en ce qui concerne la Dresse A,  des vécus ambivalents face à Madeleine, patiente et amie.

Le psychodrame Balint a fréquement  recours à la technique du doublage,. Tous les participants du groupe, et plus rarement l’animateur, peuvent faire part de leur discours intérieur pour exprimer pensées et fantasmes non seulement du soignant mais aussi du patient et des autres protagonistes de la scène. Ces interventions sont souvent analogues aux hypothèses formulées dans le travail Balint classique.  Ces techniques de doublage stimulent l’imaginaire et la créativité du soignant et de tous les membres du groupe. Elles peuvent même  avoir parfois une fonction interprétative.

 

Après chaque scène la parole est donnée d’abord à la participante  qui jouait Madeleine, avant d’interroger celles et ceux qui ont doublé, d’entendre les associations de tous les membres du groupe, la présentatrice du cas restant silencieuse et attentive à ces échanges. La participante qui jouait Madeleine va parler de ce geste qui l’a touchée : la  Dresse A a-t-elle vraiment eu ce geste à l’égard de  Madeleine lors de la consultation ? Non, apprendrons plus tard quand la Dresse A reprendra la parole : ce geste s’adressait à elle en tant que participante.  Ce passage par ce geste spontané a pris pour moi une valeur importante. Il m’est apparu comme le témoin d’un rapprochement psychique que la Dresse A s’interdisait de faire, d’une empathie qui dans la singularité de la rencontre n’avait pu jusque là pu avoir lieu. J’avais pensé que Madeleine renvoyait son médecin à une  représentation d’elle-même qu’elle tentait d’écarter, de mettre à distance. En Madeleine la Dresse A se trouvait confrontée, de manière préconsciente, à une image d’elle-même, celle d’une sloignante craignant de ne plus faire face aux exigences de sa vie professionnelle et  luttant contre la reconnaissance de moments d’épuisement et de découragement.

 

La scène qui suivra, avec l’émergence d’une émotion importante lorsque la Dresse A. s’apprête  à examiner le corps de Madeleine, et a lui palper le ventre,  prolongera ce travail de transformation qui a pu se faire en elle au cours de la séance. L’animatrice arrêtera la scène quand la Dresse A dit qu’elle va se mettre à pleurer.

 

Si les retrouvailles avec des scènes de la pratique professionnelle du soignant, leur reconstitution au cours du jeu psychodramatique se veulent être des plus fidèles, elles sont marquées par les phénomènes de l’après coup. Dans l’exemple  de la Dresse A nous sommes dans le domaine du retrouver mais aussi du trouvé-créé. La mobilisation du corps a eu  pour effet, comme c’est très souvent le cas dans la situation de tout psychodrame,  de permettre  la réémergence d’une mémoire motrice qui a été enfouie, et pas uniquement d’une mémoire refoulée,  et avec elle celle de l’affect. L’importance donnée aux affects dans leur fonction de liaison avec des représentations est un des éléments importants du travail, pour autant qu’il ouvre la voie à  une élaboration, dans un travail qui concerne tout les membres du groupe. Dans de nombreux cas, c’est lors d’un changement de rôle, technique la plus fréquente dans le psychodrame-Balint, donc lorsque le médecin joue le rôle de son patient, que s’exprime verbalement ou corporellement un aspect important de la problématique amenée au groupe par le présentateur.

 

Les doublages en voix-off, les soliloques qui accompagnent à des degrés divers tout jeu, participent au processus des associations libres et favorisent l’expression de la fantasmatique personnelle et groupale. La mise en évidence des particularités des réponses corporelles d’un soignant n’est évidemment pas un objectif en soi, mais elle est intégrée dans la compréhension d’une expérience émotionnelle partagée par tout le groupe.

L’étude du contre-transfert du soignant, et je vous ai dit tout à l’heure que Balint dans le cadre de la médecine, donnait à la notion de contre-transfert une dimension très extensive, nous semble régulièrement favorisée par le passage par le jeu, C’est très souvent par le jeu qu’apparaîtront ces patterns de réactions automatiques dont parle Michaël Balint, les aspects refoulés, niés de nous-mêmes qui nous mettent en difficulté avec nos patients. Nous nous sommes parfois crus empathiques, voire trop, et nous découvrons dans le jeu la rudesse de certains de nos propos. Nous ressentons de l’ennui, et le jeu peut nous faire découvrir des mouvements agressifs envers nos patients, ou un climat de séduction jusqu’ici inconscient.

 

Jouer non seulement son rôle de soignant mais aussi son patient, l’incarner, n’est-ce pas soutenir et favoriser les phénomènes d’identification et d’empathie qui sont à la base de toute compréhension émotionnelle ? Même si l’accent est mis ici sur la mobilisation du corps du soignant, sur la possibilité de trouver, voire de retrouver des éprouvés corporels qui participent de son contre-transfert, le psychodrame-Balint ne favorise pas un discours conscient sur le corps, mais enrichit, avec cet ancrage corporel, les processus psychiques préconscients qui caractérisent notre travail.

 

Dans ce chapitre au très beau titre : « Le métier de comprendre autrui »,  Balint a des propos qui résonnent tout particulièrement pour un animateur de psychodrame-Balint : « l’observateur doit être si bien accordé au sujet que pendant quelque temps, voire quelques instants seulement, il puisse éprouver le sentiment d’être lui-même la personne observée ou le créateur de l’objet soumis à l’observation »[4].  « Aucune identification n’est possible, dit encore Balint, si l’observateur n’est pas prêt à faire des expériences nouvelles,…, voire disposé à apprendre quelque chose qui pourra lui sembler étranger ou même angoissant ». Ces mouvements d’identification au patient, patient retrouvé et « recréé » et qui vont alterner avec le retrait dans l’objectivité,  passent nécessairement par ce que le patient offre avec son corps et avec ses symptômes. Et aussi par ce que le soignant offre ou propose de lui, de son corps et par son langage corporel.

 

Je vous ai parlé d’empathie, d’identification mais aussi j’ai parlé j’ai utilisé le mot « incarner ». C’est l’occasion pour moi de mentionner brièvement un sujet que Bianca Gallo ne manquera pas de discuter avec nous et qui est celui de la  découverte des neurones miroirs. La découverte des neurones miroirs a contribué à notre compréhension de l’intersubjectivité et de l’empathie. Les mécanismes miroirs sont profondément sollicités dans le psychodrame : des connections neuropsychologiques significatives et inscrites dans le corps ont lieu chez ceux qui observent des acteurs et qui sont confrontées directement à leur pouvoir expressif. La simulation incarnée (embodied simulation), le modèle proposé par Gallese (2009, 2012) est un mécanisme qui nous permet de partager avec autrui la signification des actions, des intentions et des émotions. La scène psychodramatique dans le cadre du psychodrame Balint reflète des moments et des aspects de la dynamique d’une relation interpersonnelle professionnelle dans laquelle la simulation incarnée était à l’œuvre. En même temps elle implique tous les membres du groupe et les animateurs dans une expérience nouvelle d’inter-corporéité qui améliore leurs capacités identificatoires et de liens sociaux avec les autres.

 

Je voudrais terminer en disant quelques mots de l’évaluation du travail Balint.

Un propos de Balint a été maintes fois cité. En traitant  des changements promus par la participation régulière à un travail  de groupe Balint parle d’un changement limité bien que considérable dans la personnalité des médecins. Non seulement des modifications du savoir faire dans l’exercice de la profession sont observables mais il soutient que la modification engage toute la personnalité du soignant.

Les constatations  faites par Michaël Balint dans des groupes d’omnipraticiens, engagés souvent pendant de nombreuses années dans cette formation, ont depuis été régulièrement décrites par les animateurs de groupe, avec toutefois moins d’optimisme. Et, pour certains, des changements ne s’opèrent qu’au prix d’une longue formation. C’est la position de Gosling et Turquet ( ) par exemple qui décrivent des changements plus ou moins importants manifestés par certains médecins et ceci en lien avec l’évolution de la dynamique du groupe. Pour eux certains des participants ont trouvé en eux-mêmes des ressources utilisables dans leur pratique, ressources dans lesquelles ils ont confiance et qu’ils possédaient souvent précédemment mais de manière intuitive. D’autres changent de manière analogue mais sans avoir pleinement confiance en leurs nouvelles capacités.

 

La valeur et l’efficacité de la formation Balint ne sont pas seulement reconnues par des animateurs de groupes et par de nombreux participants.

Des évaluations objectives du travail Balint ont été faites. Ainsi les études menées en Allemagne par l’équipe du Professeur Köhle (Cologne) montrent que la participation régulière, pendant un an, à un groupe Balint modifie le comportement des médecins lors de leurs entretiens avec leurs patients. Ces études se basent sur une analyse comparée d’entretiens vidéoscopés avec des patients, avant la participation à un groupe Balint, puis un an après. Ces études mettent aussi en évidence, à côté d’un effet d’apprentissage global, le profil très individuel d’apprentissage que le médecin a développé au cours de cette année de formation.

 

Nous avions il y a quelques années mené une enquête auprès des participants à des groupes Balint classique et des groupes de psychodrame Balint. 194 participants de professions différentes ont répondu à ce questionnaire :

 

Les questions posées quant aux effets de la formation faisaient appel, à l’exception d’une question, à une appréciation subjective de changements ou des répercussions liées à des changements.  Les effets subjectifs reconnus sont, par ordre décroissant des réponses positives:

a) une meilleure prise de conscience et prise en compte de ses émotions, sentiments et préjugés à l’égard de ses patients,

b) une meilleure compréhension des réactions et de l’état émotionnel des patients,

c) une meilleure évaluation de leurs demandes,

d) un  intérêt différent porté à l’histoire des patients et, enfin, une amélioration de la communication avec eux.

 

Les participants estiment aussi que leurs patients ont largement bénéficié de leur formation.

Mais c’est dans le regard qu’ils portent sur les autres membres de leur groupe que le changement le plus considérable est perçu: Pour  la quasi-totalité des participants (95%) qui répondent à cette question les autres participants de leur groupe ont bénéficié de la formation.  Cette source d’information sur les changements observés est, à nos yeux, importante puisque habituellement les renseignements à ce sujet sont le fait des animateurs, voire d’observateurs extérieurs dans le cadre de recherche.

 

Dans une étude récente, non encore publiée,  une équipe de chercheurs allemands  (Guido Flatten et coll)[5] montrent que les bénéfices acquis par les participants aux groupes Balint (classiques) en majorité des médecins somaticiens, concernent surtout leur perception de la relation avec leurs patients ; ils acquièrent aussi une meilleure perception de leur rôle de soignant. Et ce sont les médecins qui ont présenté des cas qui vont le plus bénéficier de ces changements et être plus à même de prendre conscience du fait que la dynamique propre au travail de groupe est le miroir du cas présenté. Cela montre aussi combien l’évolution du travail Balint intègre une compréhension de la dynamique du groupe, et en particulier du processus parallèle voir plus haut).

 

Conclusion

 

J’espère au cours de cet exposé vous avoir transmis ce que représente le travail Balint, travail de recherche en commun mais avant tout expérience partagée dans le cadre d’un groupe. J’espère que cet exposé tentera ceux d’entre vous qui ne connaissent pas le travail Balint à vouloir découvrir cette expérience.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1]
Ce sont les quatre objectifs décrits par la Fédération Internationale Balint. (http://www.balintinternational.com)
1. To provide health professionals with an opportunity to explore the emotional

aspects of their work in a safe environment

  1. To increase their understanding of patients’ communication
  2. To provide support and supervision
  3. To encourage health professionals to reflect on their work.

 

 

[2]
Il y a quelques années nous avons fait une enquête auprès des personnes qui suivaient ou avaient suivi une formation Balint. C sont les difficultés à comprendre les patients et à se comprendre eux-mêmes, dans leurs émotions et leurs réactions à l’égard de leurs patients qui sont les plus souvent décrites comme posant problème. La reconnaissance de ces difficultés joue un rôle important dans la remise en question fréquente, voire même très fréquente, que vivaient le soignants qui s’engageaient dans cette formation.
Dans cette même enquête les médecins, qu’ils soient généralistes ou spécialistes, font part plus souvent que les non-médecins de leur difficulté à maîtriser leurs émotions et leurs réactions à l’égard de leurs patients. Ils ont aussi plus de difficulté à gérer leur activité professionnelle. Parmi les médecins, les généralistes sont plus souvent inquiets, voire très inquiets, quant à leurs compétences professionnelles que les spécialistes ou les autres soignants. Il en va de même pour eux concernant la question de la difficulté à comprendre leurs patients. Les réponses aux autres questions ne distinguent pas ces trois catégories de professionnels.

 

 

 

[3] Anne Caïn.  La pensée sauvage, Grenoble,

[4] Michael Balint. Techniques psychothérapeutiques en médecine, pp  Payot, Paris

[5] Flatten Guido et collaborateurs. Etude non encore publiée.

 


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